Kambô

Une légende Kaxinawá raconte que les indiens du village avaient été très malades et que le chamane Kampu avait fait tout ce qui était possible pour les guérir. Toutes les herbes médicinales connues avaient été utilisées, mais aucune n’aidait l’agonie des malades. Kampu alors entra dans la forêt et sous l’effet de l’ayahuasca, il reçut la visite du grand dieu. Il apporta dans ses mains une grenouille, de laquelle il prit une sécrétion blanche, et enseigna comment l’utiliser. De retour à la tribu et en suivant les instructions qu’il avait reçues, le chamane Kampu était capable de guérir ses frères. Après sa mort, l’esprit de Kampu commença à vivre dans la grenouille et les Indiens commencèrent à utiliser sa sécrétion pour rester actifs et en bonne santé.

Qu’est-ce que le kambô?

De nombreux peuples autochtones du sud-ouest de l’Amazonie – en particulier les peuples de la langue pano – pratiquent un rituel de purification appelé Kambô ou Sapo (1). L’objectif de celui-ci est de guérir et purifier le corps ainsi que d’apporter force, endurance, joie de vivre et clarté spirituelle et mentale. Cette pratique traditionnelle, dépourvue d’effets psychédéliques, implique l’utilisation du moyen de défense contre les prédateurs d’une grenouille géante: les sécrétions de sa peau. Afin de récolter le poison, le shaman attache l’animal pattes écartées et frotte délicatement ses cuisses (s). Par la suite, il est soigneusement relâché.
Le mot « sapo » veut dire grenouille en portugais et en espagnol, et le mot kambô est le nom commun de la grenouille en question: Phyllomedusa bicolor. De sa peau est extirpé le poison qu’un shaman applique ensuite sur de petites brûlures.

Le rituel

Les indigènes utilisent le kambô dans des rituels menés par des shamans. Après que le kambô ait été appliqué sur la peau par le shaman, les participant-e-s boivent deux litres d’eau à jeun. La couche supérieure de l’épiderme est ensuite brûlée avec un bâton d’encens. Le kambô est appliqué sur la brûlure et la sécrétion est ainsi directement assimilée par le flux sanguin.

Le dosage change beaucoup en fonction des gens. Un shaman commence avec trois applications pour s’assurer de la réaction et déterminer la sensibilité.
Durant la session de kambô, la plupart des shamans chante ou joue d’un instrument. Certains rituels de purification spirituelle peuvent également être impliqués (chaque chamane a ses propres rituels). Le kambô est souvent combiné à d’autres rituels chamaniques (par exemple le cérémonie d’ayahuasca.

Quels sont les effets?

Les effets à court terme surviennent rapidement. La substance est connue pour son action émétique et purgative. Le ou la participant-e commence à transpirer, sentir son cœur s’accélérer et peut avoir la nausée, la diarrhée ou vomir. Ces effets sont de courte durée, généralement une quinzaine de minutes (ou jusqu’à ce que la sécrétion soit retirée de la blessure) (3).
Malgré son désagrément initial, le rituel est prisé pour les bienfaits qu’il apporterait sur le long terme. Le kambô est utilisé contre les infections et pour prévenir les maladies, mais aussi comme revigorant physique et mental et comme analgésique (4). Traditionnellement, il remplit trois rôles principaux:

  • Augmenter la capacité à la chasse: aiguiser l’esprit, augmenter la concentration, l’énergie et la force physique, réduire la douleur.
  • Eloigner « panema »: éloigner la malchance et l’apathie, s’ouvrir à la vie.
  • Traiter la maladie: renforcer le système immunitaire, combattre les infections (5).

Recherches scientifiques sur le kambô

Au-delà de ses fonctions traditionnelles, le kambô a une gamme d’applications thérapeutiques potentielles. Le rituel a attisé la curiosité des scientifiques depuis plusieurs décennies menant à des pistes pour de nouveaux traitements, allant des antibiotiques aux analgésiques, en passant par les anti-cancéreux.

La substance contient différents peptides dont nous ne connaissons qu’une infime partie et ignorons encore l’ampleur des effets. Certains, tels que la phyllomédusine, la phyllokinine, la céruléine et la sauvagine, agissent sur les muscles lisses (muscles involontaires des vaisseaux sanguins et du système digestif ) (6) (7) et expliquent les effets à court terme (vomissements, accélération du rythme cardiaque, diarrhées). D’autres, comme la dermorphine, la céruléine ou la deltorphine, qui agissent en tant qu’agoniste du récepteur à opiacé (comme le ferait, par exemple, la morphine), apportent une sensation de bien-être et réduisent les sensations douloureuses (8). La dermaseptine B2 (DRS) quant à elle, montre in-vitro pour une activité anti-tumorale par stimulation de la nécrose des cellules cancéreuses (9). D’autres peptides, tels que la phyllokinine PS-B et la phylloseptine, possèdent des propriétés antibiotiques et antimicrobiennes (10) (11).

Effets secondaires et contre-indications

Il est bon de noter que l’usage du kambô n’est pas anodin bien que les effets indésirables signalés soient rares (12). Les plus communs sont les vomissements et les troubles de conscience (13). Certaines études mettent en avant d’autres effets indésirables possibles, tels que l’hyponatrémie (14), l’hépatite aiguë (15), l’agitation psychomotrice (16) et une étude rapporte même un cas de mort subite (17). Le plus souvent les effets secondaires surviennent lorsque le rituel est réalisé par des praticiens non-traditionnels (18).

Il est difficile de donner une liste claire des contre-indications car il n’existe pas, à ce jour, d’études épidémiologique permettant son établissement. Cependant, parce que le kambô contient des substances agonistes au récepteur à opiacé, il est contrindiqué de l’utiliser en cas, somme toutes peu probable dans ce contexte, de trauma crânien et de pression intracrânienne élevée. De même, les personnes asthmatiques, souffrant de maladie pulmonaire obstructive chronique ou d’autres causes de dépression respiratoires, d’hypoxie ou d’hypercapnie ainsi que les personnes dépendantes aux opiacés devraient éviter son usage. Le kambô est aussi déconseillé aux personnes enceintes (19).

Parce que le kambô est un émétique puissant, il est important de prendre garde aux risques de déshydratation et parce qu’il agit sur la pression artérielle, sa prise n’est pas recommandée pour les personnes avec des antécédents de problèmes cardiaques.

Merci à la Dr.sse Alice Krähenbühl pour sa contribution scientifique à la préparation de cette page informative sur la médecine du kambô.


Notes:

(1) Lima, E. C.. (2009). Entre o mercado esotérico e os direitos de propriedade intelectual: o caso do kampô (Phyllomedusa bicolor) [Between the esoteric market and intellectual property rights: The case of kampô (Phyllomedusa bicolor). In J. Kleba & S. Kishi (Eds.), Dilemas do acesso à biodiversidade e aos conhecimentos tradicionais. Direito, política e sociedade [Dilemmas of access to biodiversity and traditional knowledge: Law, politics and society]. Belo Horizonte: Editora Fórum.

(2) da Silva FVA, Monteiro WM, Bernarde PSB. « Kambô » frog (Phyllomedusa bicolor): use in folk medicine and potential health risks. J Braz Soc Trop Med. 2019;52:e20180467:2019.

(3) Idem

(4) Junior VH, Martins IA. KAMBÔ: an Amazonian enigma. J Venom Res. 2020 May 26;10:13-17. PMID: 32566126; PMCID: PMC7284396.

(5) E. C. De & Labate, B. C. (2007). « Remédio da ciência » e « remédio da alma »: os usos da secreção do kambô (Phyllomedusa bicolor) nas cidades [« Science medicine » and « soul medicine »: The uses of kambô (Phyllomedusa bicolor) secretion in cities]. Revista de Antropologia Social, 8(1), 71–90.

(6) Roy R, Baranwal A, Espiridion E. Can overuse of kambô cause psychosis? Cureus. 10(6):e2770. https://doi.org/10.7759/cureus. 2770.

(7) den Brave PS, Bruins E, Bronkhorst WGA. Phyllomedusa bicolor skin secretion and the Kambô. J Ven Anim Tox Trop Dis. 2014;20.

(8) Hesselink, Jan M Keppel. « Kambo: A ritualistic healing substance from an Amazonian frog and a source of new treatments » (2018).

(9) Van Zoggel HV, Hamma-Kourbali Y, Galanth C, Ladram A, Nicolas P, Courty J, et al. Antitumor and Angiostatic Peptides from Frog Skin Secretions. Amino Acids. 2010; 42: 385–395. https://doi.org/10. 1007/s00726-010-0815-9 PMID: 21132338.

(10) Mor A, Amiche M & Nicolas P. Structure, synthesis, and activity of dermaseptin b, a novel vertebrate defensive peptide from frog skin: relationship with adenoregulin. Biochemistry. 1994; 33, 6642–6650. PMID: 8204601.

(11) Amiche M, Ducancel F, Mor A, Boulain JC, Menez A & Nicolas P. Precursors of vertebrate peptide anti- biotics dermaseptin b and adenoregulin have extensive sequence identities with precursors of opioid peptides dermorphin, dermenkephalin, and deltorphins. J Biol Chem. 1994; 269: 17847–17852. PMID: 8074751.

(12) Agüero-González DL, Pané-Vila A, Gil V, Castro P. Severe hyponatremia after a purification ritual using an Amazonian frog poison (Kambô). Emergencias. 2019 Oct;31(5):368-369. Spanish, English. PMID: 31625318.

(13) Casos de exposición a Rana Kambó (Phyllomedusa bicolor) reportados al centro de Información Toxicológica de la Facultad de Medicina de la Pontificia Universidad Católica de Chile (CITUC) entre el año 2014 al primer semestre del año 2018. (2018). [ebook] Available at: http://cituc.uc.cl/images/articulos/casos-cituc-ra-na-kambo.pdf

(14) Leban V, Kozelj G, Brvar M. The syndrome of inappropriate antidiureti hormone secretion after giant leaf frog (Phyllomedusa bicolor) venom  exposure. Toxicon. 2016;120:107-9.

(15) Pogorzelska J, Lapinksi TW. Toxic hepatitis caused by the excretions of Phyllomedusa bicolor frog – a case report. Clin Exp Hepatol. 2017;3:33–4.

(16) Li K, Horng H, Lynch K, G. Smollin C. Prolonged toxicity from Kambo cleansing ritual. Clin Toxicol (Phila). 2018;56:1165-6.

(17) Aquila I, Gratteri S, Sacco MA, Fineschi V, Magi S, Castaldo P, et al. The biologicaleffects of Kambo: is there a relationship between its administration and sudden death? J Forensic Sci. 2018;63:965-8.

(18) da Silva FVA, Monteiro WM, Bernarde PSB. « Kambô » frog (Phyllomedusa bicolor): use in folk medicine and potential health risks (idem).

(19) Evans AT. Precautions when using opioid agonist analgesics. Vet Clin North Am Small Anim Pract. 1992 Mar;22(2):362-3. doi: 10.1016/s0195-5616(92)50636-2. PMID: 1585577.