Qu’est-ce que c’est?
Les champignons forment un « royaume » à part entière, au même titre que les végétaux et les animaux. Alors que 14’000 espèces de champignons différentes ont été répertoriées, les mycologues évaluent ce chiffre comme une estimation très basse du nombre réel d’espèces de champignons sur terre, ou plutôt sous terre. La plupart de ces organismes vivant sous forme de mycélium n’ont pas encore été identifiés par l’être humain. Les champignons possèdent des characteristiques étonnantes, aussi bien dans les écosystèmes du vivant où ils sont médiateurs de la santé des sols et même de la communication entre les végétaux, que dans le domaine de la vie et de la santé humaine où ils sont source de nombreux composants comme la pénicilline ou la levure!
Parmis les champignons qui peuplent notre terre, certains (plusieurs centaines identifiées a ce jour) contiennent plusieurs molécules psychoactives comme la psilocybine, la psilocine, la norbaéocystine ou encore la bufoténine et l’aéruginascine. Ces molécules de la famille des tryptamines agissent sur le système nerveux central à travers nos récepteurs à sérotonine et sont donc psychoactives, donnant lieu à la dénomination de « champignons magiques » aux champignons de cette famille. Des analyses phylogénétiques permettent d’affirmer que les champignons à psilocybine existaient déjà sur terre il y a 75 millions d’années. Ces champignons sont présents sur tous les continents terrestres à part l’Antartique sous différentes espèces: par exemple, le psilocybe cubensis se trouve en Amérique centrale et en Asie du Sud Est, le psilocybe cyanescens aux Nord des Etats-Unis et bien sûr le psilocybe semilanceata, ou « fers de lance » pointe son nez chaque automne dans les prés du Jura suisse.
Un usage historique et traditionnel
L’humanité connait sans doute depuis des millénaires les propriétés des champignons à psilocybine. Des peintures rupestres datant de 5000 av. J.-C. ont été découvertes dans la grotte de Tassili en Algérie, representant les figures chimériques aux allures mi-champignon, mi-homme, mi animal. En Espagne, des peintures rupestres post-paléolithiques pourraient dépeindre l’utilisation rituelle du champignon psilocybe Hispanica datant de près de 10’000 ans. Mais c’est en Amerique centrale que l’utilisation rituelle des champignons magiques est la plus avéréé: des statuettes « mycanthropes » en forme de champignons et à visage humain ont été découvertes parmis les vestiges des civilisations Maya.
Des spécimens avérés de psilocybe Mexicana ont été découverts dans certaines tombes du Nord du Mexique. Et lors de leur conquête sanglante de l’empire Aztèque, les Espagnols observèrent les rites nocturnes comportant l’ingestion des ces champignons. Leurs écrits nous offrent peut-être la plus ancienne trace de la stigmatisation de rites psychédéliques ancestraux, étant donné que les espagnols considéraient evidemment les effets des champignons comme l’œuvre du diable. La colonisation et l’évangelisation des terres mexicaines amenèrent les pratiques traditionelles de guérison, divination et prière utilisant les champignons à se cacher et se transformer pour survivre. Le peuple Mazatèque, isolé dans une chaine de montagne reculée, a ainsi maintenu l’utilisation rituelle des champignons qu’ils appellent les « enfants sacrés », pratique qui occupe une place centrale dans la médecine traditionnelle et la cosmovision de ce peuple. Ce fut en 1955 que les cérémonies de champignons des Mazatèques arrivèrent a l’attention des occidentaux par le biais de Gordon et Valentina Wasson, qui purent participer a une « velada », nuit de prière et de guérison à la lueur de la bougie (« vela ») et publièrent leur recit dans la revue Americane Life, attirant ainsi moulte attention dans le petit village de la guérisseuse qui les initia, Maria Sabina, et contribuant à la revolution psychédéliques des années 60.
Utilisation moderne, récréative et thérapeutique
Depuis leur redécouverte par l’Occident, les champignons à psilocybine ont été utilisés dans un cadre non-traditionnel et ont gagné en popularité pour leurs effets « hallucinogènes », en particulier leur capacité à induire des distortions visuelles, une plus grande appréciation de la musique et un sentiment de connection avec la nature et le monde vivant. Ils furent aussi certainement utilisés de manière peut regardante en combinaison avec d’autres substances ou de l’alcool à cette periode. Alors qu’ils ont beaucoup été associés au mouvement hippie et a la contreculture des années 60 qui surfa largement la vague du LSD, ce n’est qu’en 1976 qu’une technique de cultivation sera établie et publiée, permettant au plus grand nombre d’avoir accès a l’expérience des champignons magiques. Cependant, les champignons et leurs effets psychédéliques feront les frais de la « guerre contre les drogues » menée par Nixon aux Etats Unis et deviendront illégaux dès 1971. Malgré leur interdiction, la cultivation, distribution et consommation de ces champignons persista au sein de la contreculture occidentale jusqu’à nos jours, et nombre de « psychonautes » s’initie a leur utilisation et partage cette pratique autour de soi, le plus souvent dans un cadre libre de rituel ou d’intention thérapeutique. Ce n’est qu’au début des années 2000 que la recherche psychédéliques pu reprendre, notamment aux Etats-Unis, à travers des essais cliniques où la psilocybine est utilisée dans le traitement de l’anxiété de fin de vie, du tabagisme ou encore de la dépression.
Les résultats prometteurs de ces études ont engendré aujourd’hui une veritable renaissance de la recherche dans le domaine, avec plus de 160 essais cliniques actuellement en cours dans le monde évaluant l’effet de la psilocybine en particulier dans le traitement des troubles de la santé mentale comme la dépression, l’anxiété, les troubles obsessionels et compulsifs ou encore les dépendances. En Suisse, 17 essais cliniques sont en cours ou ont déjà été effectués à Zurich, Bâle et Genève. L’utilisation clinique de la psilocybine se fait avec le soutien d’un psychotherapeute ou psychiatre et en général à travers une trajectoire stricte de psychothérapie. Au cours d’une séance de « thérapie assistée par la psilocybine », le patient reçoit une dose de psilocybine synthetique dans un environnement controlé et laisse la molécule faire effet sur son corps et son esprit sous contrôle médical et avec le soutien d’un therapeute agrée, en fermant les yeux et en écoutant une playlist de musique enregistrée. Les prises de consciences, l’ouverture émotionelle, les experience « mystiques » de prise de contact avec le divin et les changements de perspective sur la vie sont courantes et médiatrices des effets thérapeutiques qui donnent espoir à de nombreux patients. En effet, de récentes études montrent que l’utilisation guidée de psilocybine pourrait etre plus efficace que certains traitements antidépresseurs (2; 3). En parallèle à la renaissance de la recherche psychédélique, de plus en plus d’Occidentaux curieux se tournent vers une utilisation des champignons de manière encadrée et securisée sans toutefois vivre cette expérience dans un cadre médical. Des séances de groupes et des retraites sont ainsi proposées par example en Hollande ou les truffes à psilocybine sont légales, permettant à celles et ceux qui souhaitent utiliser ce champignons comme un outil de connaissance personelle et de prière de prendre part à des cérémonies de champignons dans des conditions adéquates. Un soutien professionnel durant la séance, ainsi qu’une guidance dans la préparation et l’intégration de l’expérience permettent ainsi de maximiser le potentiel thérapeutique de cette médecine ancestrale.
Effets, sécurité, potentiel de dépendance et d’abus
Les champignons à psilocybine sont connus pour leurs effets « hallucinogènes », dus principalement à l’action de la psilocybine sur les récepteurs 5HT2A du cortex préfrontal (notre centre cérébral des hautes fonctions cognitives). Les principaux effets subjectifs des champignons sont en effet les distortions visuelles, le changement du train de pensée, l’affect émotionel plus prononcé voire même la sensation d’interconnection avec le monde et de connection avec le divin. Les effets sont proportionnels à la dose ingérée, et durent en général entre 4 et 6 heures, avec un pic d’intensité une ou deux heures après la prise et une descente après 4 heures. C’est donc l’un des psychédéliques avec la durée d’action la plus courte comparé à l’ayahuasca, au LSD ou aux cactus contenant de la mescaline comme le peyote. De plus, les effets « indésirables » comme la nausée ou les vertiges sont relativement peu courants comparés à ces autres plantes, rendant les champignons à psilocybine un allié de choix pour la thérapie psychédélique ou pour les psychonautes débutants.
Des recherches récentes utilisant l’imagerie fonctionelle de résonnance magnétique cérébrale montrent que l’effet des psychédéliques commes les champignons est probablement lié a la « désactivation » du réseau de mode par défaut, un réseau neuronal qui nous permet de trier et séparer notre influ perceptif afin de pouvoir fonctionner dans la réalite que nous percevons. Les champignons à psilocybine, malgré leur interdicion, font partie des substances psychoactives les plus sûres à ingérer. La dose létale 50, unité pharmacologique denotant la dose à laquelle la moitié d’une population succombe suite à l’admninistration de cette substance, est de 280 mg par kilo de poids corporel. Ainsi, il faudrait consommer près de 2 kilos de champignons secs pour atteindre ce seuil, alors qu’une forte dose ne depasse en général pas 5 grammes! (4)
Jusqu’à présent, les différentes études toxicologiques réalisées ne relèvent pas de toxicité sur les organes du corps humain. Aucun cas de décès n’a pu être attribué à l’utilisation de champignons à psilocybine. La littérature mentionne uniquement une personne ayant nécessité une hospitalisation en soins intensifs après une injection intraveineuse autoadministrée (5).
Le risque psychologique est lui aussi faible dans la cadre d’une utilisation thérapeutique qui prend soin d’écarter les personnes présentant un risque de trouble psychotique ou bipolaire: une revue systématique (6) analysant plus de 800 administration de psilocybine dans un cadre clinique n’a pu trouver aucun effect indésirable sérieux. Lors d’une utilisation non supervisée, il est relativement courant de traverser des episodes difficiles (d’où la réputation des psychedeliques d’engendrer un « bad trip »). Cependant, une étude releve que 84% des personnes ayant traversé des experiences difficiles avec les champignons gardent par la suite des effets positifs de cette expérience (7), une characterisique importante du travail thérapeutique avec les psychédéliques étant en effet d’apprendre à accepter et intégrer les peurs et parts d’ombre que ces expériences peuvent révéler.
Enfin, le potentiel d’abus et de dépendance est extremement faible comparé a la plupart des substances psychoactives: la compulsion à consommer des champignons suite à une experience est en général très faible, et la tolérance s’installe rapidement, empêchant de répéter l’expérience les jours suivants. De plus, la nécessité d’un etat d’esprit (set) et d’un environement (setting) adéquats (sans lesquel l’experience peut s’avérer desagrable) rendent également l’utilisation abusive peu probable. Dans leur étude, Gable et al. (8) comparent le potentiel d’abus de la psilobybine face à d’autres substances psychoactives:
Conclusions
Les champignons à psilocybine font partie intégrante de nombreux écosystemes de notre planète depuis des millions d’années et leurs vertus médicinales et visionnaires sont connues par l’humanité depuis au moins 10’000 ans. Malgré leur interdiction, de nombreuses études redécouvrent leur utilisation médicinale dans le traitement des troubles de santé mentale, ce qui représente un nouvel essor dans le domaine de la psychiatrie où peu de nouvelles thérapies ont vu le jour depuis les années 1970, donnant ainsi espoir à de nombreux patients. En effet, le faible potentiel d’abus et la basse toxicité de la psilocybine la rend propice à son utilisation thérapeutique, bien qu’un cadre contrôlé soit essentiel afin de minimiser les risques et tirer le meilleur profit de l’expérience. Ainsi, un nombre croissant de personnes curieuses d’explorer leur conscience et le monde spirituel se tournent aujourd’hui vers des cérémonies avec cette médecine ancestrale, alliant ainsi une approche moderne assurant comfort et sécurité des participants tout en s’inscrivant dans la ligne des pratiques indigènes qui ont pu sauvegarder l’utilisation sacrée des champignons magiques.
Merci à Cécile Giovannetti, doctorante en Psychologie et Sciences de l’Education à l’Université de Gand (BE), pour sa contribution scientifique à la préparation de cette page informative sur la médecine des champignons magiques.
Notes:
(1) Guzmán, G. (2005). Species diversity in the genus Psilocybe (Basidiomycotina, Agaricales, Strophariaceae) of world mycobiota, with special attention to hallucinogenic properties. International Journal of Medicinal Mushrooms, 7(1/2), 305.
(2) Goodwin, G. M., Croal, M., Feifel, D., Kelly, J. R., Marwood, L., Mistry, S., … & Malievskaia, E. (2023). Psilocybin for treatment resistant depression in patients taking a concomitant SSRI medication. Neuropsychopharmacology, 48(10), 1492-1499.
(3) Yu, C. L., Liang, C. S., Yang, F. C., Tu, Y. K., Hsu, C. W., Carvalho, A. F., … & Su, K. P. (2022). Trajectory of antidepressant effects after single-or two-dose administration of psilocybin: A systematic review and multivariate meta-analysis. Journal of Clinical Medicine, 11(4), 938.
(4) Van Amsterdam, J., Opperhuizen, A., & van den Brink, W. (2011). Harm potential of magic mushroom use: a review. Regulatory toxicology and pharmacology, 59(3), 423-429.
(5) Nicholas B. Giancola, Clayton J. Korson, Jason P. Caplan, Curtis A. McKnight (2021). A “Trip” to the Intensive Care Unit: An Intravenous Injection of Psilocybin. Journal of the Academy of Consultation-Liaison Psychiatry, 62(3), 370-371.
(6) Roscoe, J., & Lozy, O. (2022). Can psilocybin be safely administered under medical supervision? A systematic review of adverse event reporting in clinical trials. Drug Science, Policy and Law, 8, 20503245221085222.
(7) Carbonaro, T. M., Bradstreet, M. P., Barrett, F. S., MacLean, K. A., Jesse, R., Johnson, M. W., & Griffiths, R. R. (2016). Survey study of challenging experiences after ingesting psilocybin mushrooms: Acute and enduring positive and negative consequences. Journal of psychopharmacology, 30(12), 1268-1278.
(8) Gable, R. S. (2006). Acute Toxicity of Drugs versus Regulatory Status.
Littérature d’approfondissement:
Liste des études cliniques réalisées en Suisse
Griffiths, R. R., Johnson, M. W., Richards, W. A., Richards, B. D., McCann, U., & Jesse, R. (2011). Psilocybin occasioned mystical-type experiences: immediate and persisting dose-related effects. Psychopharmacology, 218(4), 649-665.
Carhart-Harris, R. L., Bolstridge, M., Rucker, J., Day, C. M., Erritzoe, D., Kaelen, M., … & Nutt, D. J. (2016). Psilocybin with psychological support for treatment-resistant depression: an open-label feasibility study. The Lancet Psychiatry, 3(7), 619-627.
Johnson, M. W., Garcia-Romeu, A., Cosimano, M. P., & Griffiths, R. R. (2014). Pilot study of the 5-HT2AR agonist psilocybin in the treatment of tobacco addiction. Journal of Psychopharmacology, 28(11), 983-992.
Nichols, D. E. (2016). Psychedelics. Pharmacological Reviews, 68(2), 264-355.
Vollenweider, F. X., & Kometer, M. (2010). The neurobiology of psychedelic drugs: implications for the treatment of mood disorders. Nature Reviews Neuroscience, 11(9), 642-651.
Ross, S., Bossis, A., Guss, J., Agin-Liebes, G., Malone, T., Cohen, B., … & Schmidt, B. L. (2016). Rapid and sustained symptom reduction following psilocybin treatment for anxiety and depression in patients with life-threatening cancer: a randomized controlled trial. Journal of Psychopharmacology, 30(12), 1165-1180.
Griffiths, R. R., Richards, W. A., McCann, U., & Jesse, R. (2006). Psilocybin can occasion mystical-type experiences having substantial and sustained personal meaning and spiritual significance. Psychopharmacology, 187(3), 268-283.
Nutt, D. J., King, L. A., & Nichols, D. E. (2013). Effects of Schedule I drug laws on neuroscience research and treatment innovation. Nature Reviews Neuroscience, 14(8), 577-585.
Gasser, P., Holstein, D., Michel, Y., Doblin, R., Yazar-Klosinski, B., Passie, T., & Brenneisen, R. (2014). Safety and efficacy of lysergic acid diethylamide-assisted psychotherapy for anxiety associated with life-threatening diseases. The Journal of Nervous and Mental Disease, 202(7), 513-520.
Nichols, D. E., & Johnson, M. W. (2019). Psychedelics as medicines: An emerging new paradigm. Clinical Pharmacology & Therapeutics, 105(1), 34-36.
Vidéos d’approfondissement:
Conférence sur l’utilisation traditionelle et clinique des champignons par Vincent Verroust
Chaîne Youtube « La Gazette de l’Abîme »
Entretien avec Catherine Dufour, psychiatre qui travaille avec la kétamine